Fœtus humain et homicide involontaire
vendredi 06 Juil 2018, Myriam BLUMBERG – SCP BLUMBERG & JANET Associés Veille JuridiqueUne récente décision de condamnation pour homicide involontaire lors d’un accident de la circulation (Tribunal de grande Instance de TARBES, 4 février 2014) est susceptible de relancer le débat sur l’attribution juridique de la personnalité au fœtus humain.
Il est bon, à cette occasion, de donner un aperçu de la jurisprudence de la Cour de cassation.
La Cour de cassation française s’est fondée sur le principe fondamental de la légalité des incriminations – et sur son corollaire, le principe d’interprétation stricte de la loi pénale par le juge – pour renvoyer le législateur devant ses responsabilités. On sait combien ce principe[1], en imposant la nécessité d’une définition claire et accessible des interdits et des peines, a vocation à garantir la liberté individuelle et la sécurité juridique tout en « constitu[ant] un rempart contre l’arbitraire »[2].
- Arrêt du 30 juin 1999 :
Construit sur cette véritable pierre angulaire du droit pénal français, l’arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 30 juin 1999[3] renvoie au principe d’interprétation restrictive de la loi pénale pour en déduire que les faits reprochés au prévenu n’entrent pas dans les prévisions de l’article du Code pénal réprimant l’homicide involontaire d’une personne (ancien art. 319; 221-6 Code pénal). Cette infraction est définie comme le fait de causer notamment par maladresse, imprudence, inattention ou négligence la mort d’« autrui ». Dès lors, la Cour considère que « la condition d’altérité requise par le texte »[4] ne permet pas, en l’état actuel des textes répressifs, d’étendre au fœtus le concept juridique de personne.
Les faits de l’espèce étaient liés aux suites dramatiques d’une méprise consécutive à l’homonymie entre deux patientes. Une femme, venue en consultation pour le suivi de sa grossesse, avait malencontreusement subi une intervention ayant pour objet le retrait d’un stérilet. Cette intervention avait provoqué la mort du fœtus alors âgé de 20 à 24 semaines. En première instance, le praticien avait été relaxé au motif que le fœtus n’était pas viable. Puis, le 13 mars 1997, la Cour d’Appel de Lyon optait pour la qualification d’homicide involontaire sur fœtus. Elle voyait dans celui-ci une personne[5] en considérant que « la viabilité est une notion scientifiquement contingente et incertaine dépourvue de toute portée juridique », la loi française n’opérant aucune distinction à cet égard[6].
- Arrêt du 29 juin 2001
Poursuivant la voie ouverte en 1999, la chambre criminelle refuse le 29 juin 2001[7], l’application de la qualification de victime du délit d’homicide involontaire à un fœtus non viable[8]. Il s’agissait cette fois d’un accident de la route imputable à un automobiliste conduisant en état d’ivresse. L’accident avait provoqué l’accouchement prématuré de la conductrice de l’autre véhicule accidenté, une femme enceinte de 6 mois, et avait conduit au décès du fœtus. Une première décision avait alors conclu à l’homicide involontaire retenant que la mort du fœtus se trouvait directement liée à l’accident. La Cour d’Appel de Metz[9] avait ensuite infirmé cette première décision en précisant qu’un enfant mort-né ne bénéficiait pas de la protection pénale d’une infraction qui concerne les personnes car précisément pour qu’il y ait « personne », il faut qu’il y ait « être vivant » dit la Cour, autrement dit il faut qu’il y ait venue au monde d’un enfant non encore décédé. C’est pourquoi, en appel, les juges avaient décidé qu’il n’y avait lieu à homicide qu’à l’égard d’un enfant dont le cœur bat à la naissance et qui a respiré. Très clairement, dans son arrêt de rejet, la Cour de cassation énonce le statut singulier du fœtus : « le principe de la légalité des délits et des peines, qui impose une interprétation stricte de la loi pénale, s’oppose à ce que l’incrimination prévue par l’article 221-6 du Code pénal, réprimant l’homicide involontaire d’autrui, soit étendue au cas de l’enfant à naître dont le régime juridique relève de textes particuliers sur l’embryon ou le fœtus ».
- Arrêt du 25 juin 2002
Confirmant sa jurisprudence, la Cour de cassation par un arrêt du 25 juin 2002[10] rejette l’amalgame éventuel entre fœtus humain et personne humaine en excluant le premier de la protection pénale visée par l’incrimination d’homicide involontaire et applicable à la seconde[11] . Dans cette affaire, la naissance d’un enfant né sans vie était consécutive à des actes de négligence d’un médecin qui s’était abstenu d’intensifier la surveillance du fœtus in utero et de la sage-femme qui s’était abstenue, quant à elle, d’avertir le médecin de la présence d’une anomalie non-équivoque du rythme cardiaque de l’enfant à naître[12].
En somme, que les tribunaux soient parfois tentés de faire application à l’embryon et au fœtus humains des textes relatifs à la personne humaine[13], ou que la Cour suprême écarte à ce jour sans équivoque cette tentative, il convient d’attendre avec le plus grand intérêt le sort qui sera réservé au jugement de Tarbes, selon qu’il sera devenu définitif en l’absence de toute voie de recours exercée par l’une ou l’autre des parties ou qu’il sera soumis aux magistrats de la Cour d’appel, voire, à la juridiction suprême.
[1] Principe consacré en droit interne par l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, en droit européen par l’article 7 de la CEDH et l’article 49 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et en droit à portée universelle par l’article 11 de la DUDH et article 15 du PIDCP.
[2] F. Desportes, F. Le Gunehec, Le nouveau droit pénal, T. 1., p. 143.
[3] Cass. Crim. 30 juin 1999, Bull. crim. N° 174.,
[4] F. Lesaulnier, « De la protection pénale de l’être humain en gestation », Médecine et Droit, n° 41, mars-avril 2000, p. 10.
[5] M. Herzog-Evans, « Homme juridique et humanité de l’embryon », Revue Trimestrielle de Droit Civil, janv-mars 2000, p. 68.
[6] Sur la relativité de la notion de viabilité en fonction des avancées technologiques, voir V. Bourguet, L’être en gestation – Réflexions bioéthiques sur l’embryon humain, Paris, Presses de la Renaissance, 1999, p. 170 et s.
[7] S. Monnier, note sous arrêt, Gazette du Palais, 28-30 juillet 2002, pp. 12-18.
[8] J. Pradel, « La seconde mort de l’enfant conçu (à propos de l’arrêt d’Assemblée plénière du 29 juin 2001), Le Dalloz, 2001, n° 36, Chr. p. 2907 ; voir également Y. Mayaud, « Ultime complainte après l’arrêt de l’Assemblée plénière de la Cour de cassation du 29 juin 2001, note sous arrêt, Le Dalloz, 2001, n° 36, Jurisprudence, p. 2917; S. Monnier, Note sous arrêt, «Un point de vue de droit public à propos de l’arrêt d’Assemblée plénière de la Cour de cassation du 29 juin 2001 », Gazette du Palais, 28-30 juillet 2002, p. 13.
[9] Cour d’Appel de Metz, 3 septembre 1998, JCP, 2000, II, 10231, n. G. Fauré.
[10] Cass. Crim. 25 juin 2002, n° 3559. B. Daille-Duclos, « L’incrimination pénale d’homicide involontaire n’est pas applicable à l’enfant à naître », Les Echos, 26 juin 2002.
[11] « Le principe d’interprétation stricte oblige à circonscrire l’application des notions d’ « homicide » ou de mort causée à « autrui » […] aux seules personnes vivantes lors de leur venue au monde » selon les mémoires du procureur général et du médecin cités par D. Commaret, « Conclusions de l’Avocat général, Audience plénière de la Chambre criminelle du 6 juin 2002 », Droit pénal, n° 9, septembre 2002, Chronique, p. 4.
[12] Pour un commentaire portant sur la décision de la Cour d’Appel de Versailles, 19 janvier 2000, voir A. Bertrand-Mirkovic, « Atteinte involontaire à la vie du fœtus : le débat n’est pas clos ! », Petites Affiches, 14 juin 2002, n° 119, p. 4.
[13] C. Neirinck, « L’embryon humain ou la question en apparence sans réponse de la bioéthique », Les Petites Affiches, 9 mars 1998, n° 29, p. 5.